• Billet d'un enseignant - Sa lecture des événements tragiques ayant secoué la société Française

    Un texte d'Agabus

    De nombreux acteurs de l’Education Nationale se demandent si les événements tragiques ne signent pas un échec… leur échec, ou du moins celui de leur institution.

    Dans un certain sens, l’école a ses limites et c’est bien ainsi. Dans le cas contraire, elle pourrait devenir l’instrument rêvé d’un pouvoir totalitaire, formatant les jeunes esprits selon son idéologie, ses conceptions.

    Mais il est vrai que l’école – dont je suis un des enseignants – a échoué au moins sur deux points.

    Premièrement, elle n’a pas empêché les frères Kouachi et Amédy Coulibaly de sombrer dans le terrorisme.

    L’école doit fournir les outils pour penser, débattre, argumenter. La maîtrise de la langue française et la richesse de son vocabulaire en font partie. Quand les mots manquent, quand la réflexion peine à se construire, il ne reste que la violence pour s’exprimer. Bien évidemment, il s’agit ici d’une explication, non d’une justification des actes odieux de ce triste mois de janvier.

    Deuxièmement… je pense au carnet de correspondance de mon établissement scolaire arborant le mot « Respect »… Quand un journal fait son fonds de commerce de la satire, de la moquerie, de la dérision, de la révolte contre toute forme d’autorité, de l’offense des convictions les plus intimes, de l’outrage, de l'ironie, du sarcasme, la rédaction de ce journal montre elle aussi l’échec de l’école… à moins que le respect que l’on y promeut soit sélectif ; à moins que le respect ne soit une « valeur » ne concernant que les élèves et les étudiants…

    Pour tout dire, toutes les formes de violence m’insupportent. Les mots peuvent tuer et il n’y a pas de liberté sans responsabilité. L’adolescent pense pouvoir posséder l’une sans endosser l’autre. La maturité demande du courage ; non celle de l’ado défiant les autorités mais celle de l’engagement constructif.

    Le nihilisme de notre Occident – la « modernité tardive » sur laquelle il y aurait beaucoup à écrire – est devenu, au contact de l’islamisme, le terreau idéal sur lequel fleurissent des djihadistes et la haine de nos sociétés occidentales. Allons-nous entretenir ce terreau ?

    Et en tant que chrétien, je sais que l’homme est un être spirituel aussi, que le déni du désir de transcendance avec pour corolaire la matérialité la plus insensée, laisse dans les cœurs un vide profond.

    Comme je l’ai déjà écrit dans un post sur les réseaux sociaux, la nature a horreur du vide. Ce vide a des effets dévastateurs dont les plus belles émotions et les incantations – les « valeurs de la République », les « Je suis Charlie » – ne peuvent nous protéger.

    Il est temps, avec l’intelligence du cœur, de réfléchir sur notre rôle dans ce contexte car, comme l’écrivait une amie, nous en sommes tous responsables.

    ***

    Appendice

    L’interview du lundi 12 janvier de Nathalie Saint Cricq par Elise Lucet me pousse à écrire un appendice au texte ci-dessus. Dans cet interview, Nathalie Saint Cricq  y affirme : « Non, Elise, il ne faut faire preuve d’angélisme. C’est justement ceux qui ne sont pas Charlie qu’il faut repérer, ceux qui, dans certains établissements scolaires, ont refusé la minute de silence, ceux qui balancent sur les réseaux sociaux et ceux qui ne voient pas en quoi ce combat est le leur. Et bien, ce sont eux que l’on doit repérer, traiter, intégrer ou réintégrer dans la communauté nationale et là, l’école et les politiques ont une lourde responsabilité. »

    Bien heureusement, il n’y a en France aucun camp d’internement, aucun Goulag pour traiter ceux qui ne sont pas Charlie. Je suis enseignant et mon rôle est de fournir aux élèves qui me sont confiés, des outils pour penser, non pour se conformer. L'école n'est pas une maison de redressement ou de dressage, n'en déplaise à Nathalie Saint Cricq.  S’est-elle rendu compte de son « terrorisme intellectuel » ? L’émotion l’a emporté sur la réflexion. Notez aussi comme ses propos sont curieux : dimanche, on manifestait pour la liberté d’expression, lundi on proposait de rééduquer, de « traiter » ceux qui, bien que solidaires des victimes, avaient fait de cette liberté un usage "différent" de celui imposé par les médias, et qui avaient refusé d' endosser l'étiquette de « Charlie » comme signe de ralliement.

    Pour les élèves de nos établissements scolaires, il semblerait même qu’ils n’aient plus même le droit de poser des questions. En effet, interrogée à l’Assemblée Nationale lors de la séance des questions au gouvernement, Najat Vallaud-Belkacem déclarait : « Même là où il n’y a pas eu d’incidents, il y a eu de trop nombreux questionnements de la part des élèves. Et nous avons tous entendu les "Oui je soutiens Charlie, mais", les "deux poids, deux mesures", les "pourquoi défendre la liberté d’expression ici et pas là ?" Ces questions nous sont insupportables, surtout lorsqu’on les entend à l’école, qui est chargée de transmettre des valeurs. »

    Pour les élèves, ce qui est surtout insupportable, c’est de ne plus pouvoir interroger les enseignants sur leurs doutes. J’ai maintes fois constaté leurs difficultés croissantes à exprimer clairement des idées. Désormais, au risque d’être dénoncés, ils n’auront plus intérêt à le faire. Décidément, la liberté d’expression n’est pas si absolue, elle semblerait même à géométrie variable.

    Pour ma part, je me battrai contre tous les extrémismes, y compris contre celui d'un pouvoir politique (ou religieux) qui cherche une emprise sur les esprits en sacralisant son rôle.

    Partager via Gmail

  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :