• La défaite de la raison - Un livre de Charles-Eric de Saint-Germain

    Les Éveilleurs sont heureux de vous annoncer la sortie du livre de Charles-Eric de Saint-Germain, La défaite de la raison - Essai sur la barbarie politico-morale contemporaine.

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    Quatrième de couverture

    La crise économique, morale et spirituelle qui secoue l'Occident est d'abord une démission de la raison éthico-politique. La politique actuelle s'avère incapable de poursuivre un Bien réellement commun qui excéderait la satisfaction des désirs de chacun.

    Cette éclipse de la pensée se reflète aussi au sein de l'espace public, où le conformisme idéologique régnant a exclu les conditions d'un débat démocratique digne de ce nom.

    Les différentes études proposées ici ont pour but de donner un éclairage sur l'actualité de notre temps : décomposition de la famille, dogme égalitariste, quête désenchantée du plaisir, retour d'un laïcisme intransigeant, restriction de la liberté de conscience, idéologie culturaliste qui sous-tend le féminisme
    et les Gender Studies.

    La démocratie tend à laisser la place à une médiacratie qui discrédite toute liberté de pensée authentique. Nourri et éclairé par un regard de foi, ce « cri d'alarme philosophique » nous met en garde contre les dangers d'un changement de civilisation qui, en niant les structures ontologiques du réel et en prétendant ouvertement se couper des racines juives et chrétiennes à l'origine de la culture occidentale, risque fort de replonger l’humanité européenne dans la barbarie libertaire et le chaos social.

     

    Charles-Eric de Saint Germain, ancien élève de l’ENS Fontenay-Lyon, agrégé et docteur en philosophie, est professeur de philosophie en hypokhâgne et khâgne.

    Il a notamment publié L'avènement de la vérité (L’Harmattan, 2003), Un évangélique parle aux catholiques (F.-X. De Guibert, 2008) et les Cours particuliers de philosophie en deux volumes (Ellipses. 2011 et 2012).

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    La table des matières

    Introduction
    La famille décomposée ou le « nouveau visage » de la barbarie politique moderne

    Chapitre 1
    Les impostures du « dogme égalitariste »

    L’idéal méritocratique et « l’élitisme républicain »

    La critique bourdieusienne de l’école et de l’idéologie méritocratique

    De l’égalité par la culture à l’égalité dans l’inculture

    Du nouveau libéralisme à la « théorie de la Justice » de John Rawls : variations libérales sur le principe de l’égalité des chances

    La critique socialo-marxiste du libéralisme : de l’égalité en droits à l’égalisation de fait des conditions

    La critique de l’égalitarisme strict et de l’individualisme démocratique : la montée de l'envie comme contrepartie de la « passion de l'égalité »

    Chapitre 2
    De la valorisation du plaisir aux désenchantements de l'hédonisme moderne

    Du monde grec au monde chrétien : petite histoire du plaisir à travers les âges

    L’usage des plaisirs et le statut des « aphrodisia » dans la Grèce antique selon Michel Foucault

    La vision du corps et la concupiscence de la chair chez Paul, Augustin et Pascal : le christianisme, un anti-hédonisme ?

    Le « puritanisme » et l’éthique conjugale : une morale austère qui suspecte nécessairement le plaisir ?

    De l’hédonisme utilitariste à l’hédonisme postmoderne : les impasses de la société de consommation

    L’hédonisme utilitariste et sa critique rawlsienne : l’éthique des conséquences et la morale de la « maximisation des plaisirs »

    Le libertinage et « l’art de jouir » : de l’hédonisme de la séduction à l’hédonisme de la consommation

    La tyrannie du plaisir selon J-C. Guillebaud : vers une « corvée de plaisir » ?

    Chapitre 3
    Refondation ou dévoiement de la laïcité ?
    Plaidoyer pour une laïcité ouverte et éclairée

    La laïcité, garante du pluralisme : liberté de conscience, liberté d'expression, liberté religieuse

    Les trois piliers laïques et les différents modèles de laïcité selon M. Milot

    Vers une laïcité ouverte : le processus de justification et « l’éthique de la discussion »

    Les avantages de la laïcité positive et de la réhabilitation publique des religions

    Questions et réponses afin de renouveler le « pacte républicain » dans le respect des croyances religieuses

    Chapitre 4
    La liberté de conscience ou le risque de la contestation

    Quelques grandes figures de la « liberté de conscience » en rupture avec la Tradition : Antigone, St Paul, Luther, Descartes

    Les limites de la conscience morale individuelle : le témoignage interne de la conscience est-il un « juge infaillible » ?

    De l’émancipation du droit vis-à-vis de la morale à l’analyse du cas Eichmann : les impasses du positivisme juridique et la nécessité d’une réhabilitation de la liberté de conscience

    La « clause de conscience » et les limites de l’éthique de la conviction : les maires et le mariage homosexuel

    De « l’objection de conscience » à la « désobéissance civile »

    Chapitre 5
    Les impasses de l'idéologie culturaliste : La révolution féministe et les Gender Studies

    Penser la différence homme-femme : le double écueil de la naturalisation de la différence et de la
    neutralisation des différences selon F. de Muizon

    L'émancipation féminine selon S. de Beauvoir et ses limites

    La construction culturelle des sexes : des « Gender Studies » à la « Queer Theory » de Judith Butler

    L'altérité fondatrice : la différence sexuelle comme donnée anthropologique indépassable

    Vers une phénoménologie du corps sexué : l'expressivité du corps comme signe de son humanité spécifique et le dépassement du dualisme « nature/culture »

    Conclusion
    De la démocratie à la médiacratie : la pensée confisquée

    Résumé

    Présentation du livre

    Introduction - La famille décomposée

    Partant des rapports entre « famille » et « société » tels que Jean-Paul II les expose, il s'agit de montrer tout d'abord que la famille constitue bien le fondement de la société, et que l'Etat doit respecter son autonomie et sa souveraineté, ce qui ne l'autorise à intervenir en elle, en vertu du principe de subsidiarité, que pour suppléer aux défaillances des parents, mais il doit aussi l'aider, du fait de sa fragilité, car il y va de la cohésion sociale que la famille garantit en tant que toute première communauté. Malheureusement, la contractualisation du mariage et l'individualisme galopant, qui tendent à méconnaître que le mariage et la famille sont des institutions qui dépassent le cadre de la volonté individuelle, ne peuvent que fragiliser toujours plus les familles, en conduisant à des « unions » purement contractuelles qui remettent en cause la véritable finalité du mariage, tout en dénaturant la famille. En outre, l'éclatement des familles a toujours constitué le ressort des totalitarismes, qui profitent de l'atomisation de la société et de la dissolution du lien familial pour imposer, par le biais de l'école, une idéologie aux enfants qui ne trouvent plus alors plus dans le terreau familial les « valeurs » susceptibles de s'opposer à la diffusion de l'idéologie dominante. Aujourd'hui, c'est à travers les nouvelles normes que l'Etat cherche à imposer en matière de sexualité que celui-ci viole le principe de subsidiarité, s'immisçant toujours plus dans la vie intime des individus, au point de faire de la famille, dans un proche avenir, une réalité entièrement « sociale », qui sera artificiellement construite et de plus en plus contrôlée par l'Etat.

    Chapitre 1 - Les impasses du « dogme égalitariste »

    I) La première étude est consacrée au « dogme égalitariste » . L'idéal méritocratique visait à établir l'égalité des chances, en faisant de l'école gratuite et obligatoire et de l'instruction publique le moyen permettant aux citoyens d'acquérir ce « savoir minimal » et cette culture commune qui leur permettront de participer intelligemment aux délibérations dans l'espace public. Pourtant, cet idéal jugé trop « élitiste » par certains, a conduit Bourdieu et ses disciples à dénoncer la reproduction sociale des élites grâce à l'Ecole, une Ecole accusée de ne pas permettre aux élèves venant de milieux défavorisés d'y réussir, le remède passant alors par une démocratisation massive de l'école et par le renoncement, du coup, à transmettre une culture « inaccessible » au plus grand nombre. Mais le résultat de cette politique, qui instrumentalise l'Ecole pour en faire une sorte de « laboratoire de la démocratie », semble plutôt d'avoir renforcé les inégalités scolaires car les élèves trouvent désormais dans leur milieu d'origine ou dans leurs réseaux d'amis et de relations cette « culture » que l'école se refuse désormais à transmettre, ce qui fait dire à François-Xavier Bellamy, dans son ouvrage sur Les Déshérités, que Bourdieu a finalement « créé l'Ecole qu'il dénonçait ».

    Il faut toutefois noter que cet idéal méritocratique n'est pas propre à la tradition républicaine française. Il était déjà au cœur du nouveau libéralisme, apparu dans la deuxième moitié du XIXè siècle, et qui faisait de « l'égalité des chances » son « leitmotiv ». Il s'agit ici, dans cette perspective libérale, de lutter contre les inégalités liées à la naissance et à l'origine sociale, afin de promouvoir une société où chacun sera récompensé pour ses seuls talents naturels, ne devant qu'à lui-même sa réussite ou son échec dès lors que la société a tout fait, en amont, pour que les chances de tous soient égales au départ de la course. Mais cet idéal méritocratique se heurte à une objection marxiste classique : peut-on considérer nos talents personnels comme des « mérites » qu'il convient de récompenser, sans omettre que les capacités naturelles, qu'elles soient physiques ou intellectuelles, ne sont aucunement méritées puisqu'elles proviennent de la nature et de ses « dons », et qu'elles ne mettent pas en relation le travail accompli avec l'effort fourni par chacun ? En outre, les talents et les mérites dits « naturels » ne sont-il pas trop déterminés socialement pour que l'individu puisse s'en attribuer la seule responsabilité ? Dès lors, la vraie justice ne devrait-elle pas lutter aussi contre ces inégalités « naturelles », qui sont des privilèges pour certains, et ne devrait-elle pas répartir les richesses en donnant plutôt à chacun « selon ses besoins », puisque l'on peut espérer que dans la société communiste (qui devait être une société d'abondance), les machines produiront suffisamment pour pouvoir subvenir aux besoins de tous ?

    Il est vrai que l'échec du communisme historique a infligé un cinglant démenti à cet idéal sans doute utopique, et c'est pourquoi le libéralisme social, prenant acte de cette impasse, ne cherchera pas tant à réaliser l'égalité matérielle des conditions qu'il ne cherchera à lutter contre les inégalités injustifiées. Rawls a bien montré qu'il y a des inégalités justes et justifiées lorsqu’elles profitent à tous, et permettent d’optimiser le sort des plus mal lotis. Cette solution a le mérite de concilier la liberté individuelle, valeur suprême des sociétés libérales, avec le souci de justice sociale, qui est au cœur du socialisme dans ce qu'il a de meilleur, et elle justifie par là même une redistribution des ressources, au nom d'une égalité équitable des chances qui permet d'éviter les dérives du néo-libéralisme de Nozick. Mais sans doute faudrait-il se demander aussi pourquoi Rawls estime que la réduction des inégalités, leitmotiv des sociétés égalitaristes, n'est pas une fin en soi. Outre qu'une telle « passion de l'égalité », en effet, peut fort bien être animée par des sentiments réactifs, comme l'envie et la jalousie, ainsi que le montraient déjà Tocqueville et Nietzsche, elle risque aussi de conduire, dans les faits, au sacrifice de la liberté elle-même (ce qui constitue le destin de toutes les sociétés égalitaristes), et à la paupérisation du plus grand nombre. Au final, un tel « égalitarisme » se révèle bien comme un dogme dangereux, car il méconnaît que l'inégalité et les rapports de domination qui existent entre les hommes sont le fruit de la nature corrompue de l'homme, qu'ils sont hélas le lot de notre humaine condition depuis la chute, en sorte qu'il n'y a guère qu'en Christ, moyennant la régénération de notre nature par le Saint-Esprit, qu'une certaine « égalité » est réellement possible, à condition toutefois de ne pas confondre cette égalité avec l'identité, c'est-à-dire avec une neutralité indifférenciée qui abolirait les différences, et à ne pas séparer cette égalité de la liberté et de la fraternité, qui seules peuvent lui donner tout son sens.

     

    Chapitre 2 - De la valorisation du plaisir aux désenchantements de l'hédonisme moderne

    II) La deuxième étude, consacrée à l'hédonisme et à la question du plaisir, s'efforce de remettre en perspective les grandes étapes de la manière dont l'Occident a envisagé le plaisir et ses différents usages. On sait que l'hédonisme antique n'a que peu de rapport avec les représentations qui lui sont traditionnellement associées, car l'idéal grec est un idéal de « sagesse » et de « mesure », qui vise à la maîtrise des plaisirs. Les « aphrodisia » renvoient moins à des actes permis ou défendus qu'à la distinction entre une sexualité maîtrisée ou contrôlée, et une sexualité débridée. Le christianisme, lui, va entraîner une profonde mutation dans la conception de l'hédonisme, en introduisant la notion de concupiscence et de péché au cœur même du sujet désirant, et en distinguant le permis du défendu. Pourtant, la doctrine chrétienne est beaucoup plus nuancée que les clichés qu'on en véhicule souvent. Loin de dévaloriser le corps, comme c'est le cas dans la gnose manichéenne, où le corps est vu comme la source du mal et du péché, l'âme devant alors se libérer de ce corps qui la retient captive des plaisirs charnels, le christianisme fait au contraire du corps une source de sagesse puisque il est, pour Paul, le « temple de l'esprit ». C'est donc plutôt dans les désirs corrompus de l'âme, ou du cœur, que se trouve la source du péché et de tous les excès, du moins si ce cœur n'est pas régénéré par la grâce de Dieu, alors que la satisfaction des besoins du corps (qu'il faut distinguer des désirs de l'âme), du fait qu'ils sont « mesurés », garantit l'équilibre de l'homme tout entier, être indissociablement corporel et spirituel, même si une discipline du corps s'impose pour atteindre « la perfection ».

    Il est vrai qu'en confondant le « corps » et la « chair » (une chair qui renvoie, chez saint Paul, aux œuvres de l'homme « charnel » par opposition à celles de l'homme « spirituel » ou régénéré), saint Augustin est à l'origine d'un malentendu qui continue d'hypothéquer la vision que beaucoup se font du christianisme, comme si celui-ci avait déprécié le corps au bénéfice de l'âme ou de l'esprit. Mais même l'augustinisme, et jusque dans ses prolongements « jansénistes », ne refuse pas le plaisir en lui-même puisqu'il montre, bien plutôt, que l'homme ne peut vaincre la concupiscence qui habite l'homme charnel qu'au prix d'un plaisir plus fort et plus puissant, celui de la « délectation » que prend l'homme spirituel dans l'accomplissement de la loi de Dieu. Pareillement, si le puritanisme protestant a souvent été assimilé, suite à la lecture que fait Max Weber de l'ethos du protestantisme, à une forme d'ascétisme intra-mondain, il s'agit, là encore, d'un « cliché », puisque le plaisir, pourvu que l'homme n'en devienne pas l'esclave, fait partie intégrante de l'agrément que Dieu a voulu pour la vie de l'homme, ce qui se vérifie particulièrement dans l'éthique conjugale puritaine, où l'amour sensuel est même exalté, car ce sont seulement la fornication et l'adultère qui sont condamnés.

    La modernité retrouvera, à travers l'utilitarisme de Bentham et Mill, le « calcul des plaisirs » qui était au cœur de l'hédonisme épicurien, faisant du plaisir maximal la fin de la vie morale. Il est vrai qu'à la différence de Bentham, qui n'envisage le plaisir maximal que sous sa forme quantitative, Mill distingue qualitativement les plaisirs, et nous invite à rechercher les plaisirs supérieurs, ceux qui sont conformes au sentiment que nous avons de notre dignité. Mais on peut reprocher à l'utilitarisme, à la suite de Rawls, de conduire à une « logique sacrificielle » qui nie la dignité de la personne humaine dans ce qu'elle a d'unique puisque dans une perspective politico-sociale, l'utilitarisme justifiera le sacrifice de certaines personnes si celui-ci contribue à augmenter le plaisir maximal du plus grand nombre d'individus.

    En réalité, il semble difficile de faire du plaisir la fin que vise la morale. D'abord parce qu'une existence centrée sur la seule quête du plaisir et de la satisfaction du désir, que ce soit dans un hédonisme de la séduction (comme c'est le cas de Don Juan), ou dans un hédonisme de la consommation (comme c'est le cas de l'homme postmoderne), ne peut conduire à un véritable épanouissement, mais elle peut seulement déboucher sur une « fuite en avant » dans une perpétuelle quête de nouveauté permettant d'éviter la lassitude et l'ennui qui menacent le désir. Mais surtout, en devenant une injonction impérative, le plaisir en finit même par devenir, dans nos sociétés qui valorisent le « culte de la performance » à outrance, une véritable « corvée » et une tyrannie d'autant plus aliénante qu'elle soumet le désir à une logique mimétique imposée, qui nous dépossède de ce qui devrait être l'expression de notre intimité la plus profonde, comme l'a bien vu J-C. Guillebaud.

    Chapitre 3 - Refondation ou dévoiement de la laïcité ? - Plaidoyer pour une laïcité ouverte et éclairée

    III) La troisième étude est consacrée à la laïcité et à ses dévoiements français. Fondée sur le principe de séparation de l'Eglise et de l'Etat, de neutralité de l'Etat démocratique et du respect de la liberté de conscience et d'expression, la laïcité est susceptible de donner lieu à de multiples aménagements en fonction de la manière dont on articule ces différents principes. La laïcité est pourtant souvent interprétée comme imposant le retrait de la religion en dehors de la sphère publique, ne permettant son expression qu'à l'intérieur de la sphère privée. Mais il s'agit là d'une conception très restrictive de la laïcité, qui oublie la double définition de la sphère publique : si l'Etat et ses institutions, en effet, doivent rester neutres, il n'en va pas de même de « l'espace public », qui doit bien plutôt rester ouvert à toutes les formes d'expression religieuses dans les limites imposées par le respect d'autrui et le maintien de l'ordre public. Ce caractère restrictif se manifeste aussi dans la confusion savamment entretenue entre liberté de conscience et liberté de choix : en réduisant la liberté de conscience à un choix opéré dans la sphère privée, on oublie que la véritable liberté de conscience est inséparable de la liberté de pratiquer et d'exercer sa religion, y compris dans l'espace public. En sorte que vouloir maintenir la religion dans la seule sphère privée, comme si le croyant devait abandonner ses convictions dès lors qu'il entre dans l'espace public, ne peut être vécue par lui que comme une forme de contrainte morale indue, qui méconnaît en outre que ses croyances informent toute sa manière de penser et d'agir, y compris lorsqu'il participe au débat public.

    Toute la difficulté, quand on cherche à penser une « saine laïcité », est donc de soumettre les convictions religieuses aux règles qui régissent la communication dans l'espace public, afin d'éviter que celui-ci ne fasse l'objet d'une colonisation par une religion qui chercherait à y imposer son hégémonie au mépris des autres croyances et convictions religieuses. Partisan d'un pluralisme religieux de l'espace public, Jürgen Habermas s'efforce d'ouvrir celui-ci aux croyances religieuses sous condition que le croyant puisse faire un « usage public » de sa raison, autrement dit qu'il soit capable de transformer ses « croyances » en « arguments » audibles par tous les partenaires de la discussion. Le processus de justification, auquel doivent se soumettre toutes les croyances religieuses, permet ainsi la participation de toutes les composantes sociales à la délibération publique, et rend possible du même coup une réconciliation fondée sur la raison : si tous les protagonistes de la discussion ne peuvent, en effet, s'accorder sur les « valeurs » qui doivent inspirer la décision politique, ni sur la vérité des convictions religieuses, un « consensus » par recoupement est néanmoins possible pour reconnaître la valeur de l'argumentation qui permet d'emporter la décision, quand bien même celle-ci serait contraire à mes croyances et à mes convictions.

    Cette participation des croyants et de toutes les composantes sociales à la discussion et à la délibération publique présente en outre du multiples avantages : d'abord, elle permet d'éviter le repli communautariste si décrié, qui se produit en général lorsque les croyants ont le sentiment que les convictions profondes qui les anime n'ont pas été véritablement prises en compte par le politique, ce qui ne peut que fragiliser le lien social lui-même, et conduire à des fractures de plus en plus importantes au sein de la société. Ensuite, elle conduit à la tolérance et à la pacification des croyances religieuses, en neutralisant le potentiel de violence qu'elles contiennent du fait de leur visée absolutiste, car la confrontation des croyances, lorsqu'elles se soumettent aux exigences de la raison publique, amènent celles-ci à se relativiser d'elles-mêmes, par une meilleure connaissance de la logique qui sous-tend les autres croyances religieuses. En outre, face à la crise des grands idéaux révolutionnaires et politiques et à l'effondrement des philosophies du sens et de la fin de l'histoire, elle permet de réhabiliter publiquement les religions, en tant que pourvoyeuses de sens. Cette réhabilitation publique des religions, à titre de « systèmes de croyances privées » (M. Gauchet), suppose que les religions ne sont plus l'ennemi de la démocratie, mais elles sont désormais dans la démocratie, ce qui signifie qu'ayant renoncé à imposer leur vision du monde, elles se présentent désormais comme une simple « proposition de sens » dans un monde pluraliste. Enfin, elle favorise l'engagement en faveur de la solidarité et de la justice sociale, car le sens du partage et de la communauté est souvent au cœur de la foi religieuse, alors que l'individualisme libéral conduit au désintérêt pour la chose publique, et à l'incapacité de se mobiliser pour une cause qui puisse transcender la sphère de ses intérêts privés.

    Chapitre 4 - La liberté de conscience ou le risque de la contestation

    IV) La quatrième étude est consacrée à la liberté de conscience et à ses récentes limitations et restrictions. En faisant de la légalité le seul fondement de la légitimité, et en évacuant délibérément toute référence au droit naturel, le « positivisme juridique » de Kelsen semble interdire toute protestation de la conscience au nom d'une source de légitimité supérieure au droit positivement institué dans les Etats. Pourtant, cette liberté de conscience semble être l'un des piliers de l'héritage humaniste occidental. Si Antigone, dans sa résistance à son oncle Créon, semble préfigurer le christianisme, c'est dans la mesure où celui-ci, grâce à saint Paul, fondera l'obéissance aux autorités instituées sur la ratification interne de la conscience (c'est « l'obéissance en conscience »), refusant ainsi de faire de la tradition le seul fondement de l'autorité des lois. De ce point de vue, Luther, qui substitue l'autorité des Écritures à celle de la tradition de l'Eglise au nom de sa conscience, ou Descartes, dans sa volonté de rompre avec la tradition scolastique pour refonder le savoir sur la certitude de la conscience, peuvent apparaître, à leur tour, comme des « héros » de la liberté de conscience, puisqu'ils refusent toute autorité extérieure et valorisent la nécessité d'un examen et d'une « appropriation » personnels comme étant la condition subjective de l'accès au vrai. Il est vrai qu'il faut se garder cependant de faire de la conscience un « juge infaillible », comme si celle-ci pouvait être la source du vrai. Le pape Jean-Paul II, dans son Encyclique Veritatis Splendor, nous met en garde contre cette tentation, et il nous rappelle à la suite de Paul que la conscience morale peut être erronée, car elle est elle-même soumise à de multiples conditionnements, en sorte que la sincérité et l'authenticité ne suffisent pas à garantir la justesse de ses verdicts. D'où la nécessité, selon lui, de fonder le jugement de conscience sur la garantie objective de la « loi naturelle », loi inscrite dans l'ordre créé, là où le protestantisme, qui prend davantage en compte l'altération de la création suite au péché, trouvera cette garantie objective dans l'éclairage de la conscience par le Saint-Esprit.

    La modernité, en émancipant la conscience de toute tradition reçue, a aussi supprimé la garantie objective qui rendait possible la contestation d'un ordre juridique, favorisant paradoxalement l'émancipation du droit par rapport à la morale et le renforcement d'un « légalisme » dont le positivisme kelsenien est l'aboutissement. Hannah Arendt a pourtant bien montré, à travers l'analyse du cas Eichmann, que le fait de ne pas reconnaître d'autre source de légitimité que les procédures légales qui conduisent à l'institution des normes, risque de justifier des actes aussi barbares que l'extermination des juifs par les nazis. D'où la nécessité, selon elle, de ne pas étouffer la « voix de sa conscience » par une soumission aveugle aux ordres reçus, une telle obéissance « sans conscience » témoignant de la banalité du mal, qui est toujours démission de la conscience et refus d'exercer un quelconque jugement critique.

    Il convient dès lors de s'interroger sur ce qui peut fonder la « désobéissance civique ». Cette question est d'une actualité brûlante à l'heure où l'on cherche à restreindre ou abolir la « clause de conscience » sur des sujets aussi brûlants que l'IVG ou le mariage des personnes homosexuelles. S'il nous semble inacceptable de s'opposer par la violence à une loi démocratiquement instituée, une démocratie digne de ce nom doit veiller à préserver la liberté de contester certaines lois au nom de sa conscience, et sauf à devenir insupportablement tyrannique, un Etat ne peut obliger un individu à commettre des actes que sa conscience réprouve pour des raisons qui, dans une situation d'incertitude, peuvent être comprises par tous, à défaut d'être partagées par tous (d'où la nécessité d'appliquer le « principe de précaution » à cette situation). S'il le fait, alors la « désobéissance civique » devient légitime, étant entendu que cette désobéissance est une liberté qu'il faut prendre quand elle nous est refusée mais elle doit être distinguée de « l'objection de conscience » et elle doit prendre des formes qui sont définies de manière suffisamment claires (acte intentionnel, relevant d'une attitude publique, s'inscrivant dans une dimension collective de nature non-violente, et visant à des fins novatrices qui s'appuient ses des principes supérieurs) pour qu'on ne la confonde pas avec une simple contestation juvénile ou anarchiste de l'ordre établi.

    Chapitre 5 - Les impostures de l'idéologie culturaliste : la révolution féministe et les Gender studies

    V) La cinquième et dernière étude est consacrée à la nouvelle politique des sexes, c'est-à-dire au féminisme et aux Gender Studies. La différence des sexes est devenue de plus en plus difficile à penser aujourd'hui, car sous l'impulsion du féminisme, les femmes se sont progressivement émancipées des « stéréotypes culturels » figés dans lesquels la tradition patriarcale s'était efforcé de les enfermer. Les travaux anthropologiques de Margaret Mead sur certaines tribus océaniques semblent montrer qu'il n'y a pas de nature féminine ni de nature masculine qui nous assigneraient des rôles déterminés, ce qui amènera Simone de Beauvoir à affirmer que l'on ne naît pas « femme », mais qu'on le devient. Pourtant, malgré la part de vérité contenue dans cette affirmation, il semble que l'émancipation féminine, accompagnée d'une féminisation progressive de la société, ne fasse en réalité que renforcer la domination de la norme masculine, car le féminisme ne parvient à concevoir cette « libération » que par imitation d'un modèle qui reste masculin, d'où la tendance actuelle de la société à proposer deux images opposées de la femme (celle de la femme-objet et celle de la femme-libérée) qui ne sont que les deux faces masculines d'une même médaille, et révèlent la difficulté de la femme à trouver son équilibre dans la société actuelle, et celle de l'homme à se repositionner face à l'évolution de la condition féminine.

    C'est pourtant sur la dénonciation de cette part de « construction » que repose les Gender Studies. Cette théorie est à l'origine une théorie « médicale » et psychologique visant à montrer que l'identité sexuelle de l'individu (le Genre) est une assignation éducative qui ne doit rien au sexe anatomique de l'individu (le sexe), même si elle ne conteste pas encore la norme sociale dès lors qu'elle s'intéresse surtout à des cas reconnus pathologiques. Avec le moment féministe des Gender studies, il s'agit désormais de déconstruire la norme masculine qui structure la répartition des tâches dans la société, en montrant qu'elle est arbitrairement et culturellement instituée par les hommes pour renforcer leur domination et leur pouvoir, bien qu'elle se fasse passer pour « naturelle ».

    Ce n'est qu'avec la Queer Theory de Judith Butler que les Gender Studies vont se radicaliser, en affirmant que c'est l'hétérosexualité elle-même qui serait une convention sociale arbitrairement adopté par mimétisme dès le plus jeune âge. Le temps serait désormais venu de déconstruire la norme hétérosexuelle, qui nous impose le désir de l'autre sexe, pour le libérer de toutes les identités réifiantes que le langage suscite artificiellement pour mutiler ceux qui ont une sexualité créatrice.

    La thèse de Butler se heurte néanmoins à de multiples difficultés, qui sont aussi celles du culturalisme en général et du féminisme. Elle méconnaît, notamment, que l'identité sexuelle n'est pas une simple construction culturelle, car elle s'enracine dans le corps sexué ; celui-ci n'est pas un substrat neutre, un « vêtement », il fait déjà signe de notre humanité, notamment par sa « capacité expressive », comme l'a bien montré Merleau-Ponty. Il faut donc préférer au dualisme platonicien du Phédon le monisme aristotélicien, qui affirme l'unité indissociable de l'âme et du corps en l'homme, tout en intégrant l'autonomie du corps qu'Aristote négligeait. En d'autres termes, si le corps ne détermine pas notre identité sexuelle, il est néanmoins une « proposition de sens » qui trace une orientation et une direction à la culture, laquelle a pour vocation de s'appuyer sur ce donné signifiant pour le porter à une « expression » qui sera certes toujours particulière, selon la culture d'appartenance qui est la nôtre. En dépassant l'antinomie « naturalisme / culturalisme », on comprend alors que la véritable liberté n'est pas de s'arracher à la nature pour choisir et construire son identité, ni d'être prisonnier d'un « destin biologique », mais c'est de répondre, dans l'assomption culturelle de ce donné naturel, à sa vocation d'homme ou de femme – une vocation dont la complémentarité, inscrite dans notre chair, est voulue par l'auteur de la création.

    Conclusion - De la démocratie à la médiacratie : la pensée confisquée

    En tant que « quatrième pouvoir », les médias ont souvent été conçus comme les garants du jeu démocratique et comme l'instrument d'une « démocratie de contrôle », favorisant aussi bien la représentation de l'opinion publique que la possibilité de surveiller les pouvoirs. Pourtant, le quatrième pouvoir est aujourd'hui devenu le premier, il n'est plus un contre-pouvoir aux trois pouvoirs traditionnels (exécutif, législatif et judiciaire), mais il tend à soumettre le politique aux règles de la communication médiatique, tout en façonnant l'opinion publique et la réalité, alors que sa vocation initiale était plutôt de favoriser l'émergence de celle-là et d'informer sur celle-ci. Tocqueville, au XIX e, avait déjà anticipé cette dérive lorsqu'il dénonçait l'emprise que le « pouvoir social » finirait par exercer sur l'individu car plus l'individu refuse toute hiérarchie, plus il est disposé à croire l'opinion commune, et à s'en remettre à elle. Cette uniformisation de la pensée et des modes de vie est dramatique pour l'avenir de la démocratie, en tant que régime fondé sur le débat, les tensions et les contradictions. Elle se traduit aujourd'hui par l'emprise de l'image audio-visuelle, qui annihile la réflexion et humilie la parole, et par l'uniformisation de l'information ce qui, conjugué à l'absence croissante d'autonomie du champ journalistique, favorise l'émergence d'une nouvelle forme inédite de « censure ». Celle-ci n'interdit plus d'exprimer ses pensées, mais elle finit par rendre insignifiant tout discours « sensé », en privilégiant le « bavardage médiatique » auto-référent et le « succès » (mesuré en termes d'audimat), à un discours signifiant et enraciné dans la vérité de l'être.

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