• Éveiller les consciences : De l'obscurité à la lumière

    En introduction

    Les «  éveilleurs de conscience » sont un groupe né (en mai 2013) à partir de la volonté de réfléchir et d’analyser les grandes réformes sociétales récentes qui semblent ne plus avoir pour horizon que d’avancer en vue de satisfaire les desideratas  – insatiables – des individus.

    Quand l’homme devient la « mesure de toute chose » (Platon, Protagoras), il ne peut que sombrer dans la démesure et finir désorienté, désemparé. La revendication outrancée du « bien-être » ne peut, paradoxalement, qu’avoir pour conséquence la généralisation et la diffusion du mal-être.

    Malgré le relativisme, le dogme matérialiste dominant, l’éthique consumériste généralisée, les « éveilleurs » veulent rester optimistes.

    Sans naïveté  aucune (nous ne cherchons pas à rendre « plus belle la vie » – la comparaison est un poison ! –, nous disons simplement qu’elle est belle), nous souhaitons modestement réenchanter notre rapport au monde, en rappelant ce pour quoi nous sommes faits, cela à partir d’une réflexion rationnellement organisée à partir de ce qu’est le réel.

    Le texte de Platon (que nous citons ci-dessous et qui est extrait de la République, livre VII, 514a-516b ; il s’agit de la célèbre « allégorie de la caverne ») est alors particulièrement éclairant : à une époque où nous pensons être des plus éclairés et des plus libres, nous n’avons peut-être jamais été aussi esclaves de nos désirs et de nos envies et, par conséquent, aussi coupés du réel. Les médias (qui favorisent peu la médiation réflexive et qui sont les grands illusionnistes de la caverne contemporaine qu’est notre société) y sont largement pour quelque chose. Ils ne sont pas les seuls car ils reçoivent la « bénédiction » du politique qui semble ainsi vouloir anesthésier les consciences, pour mieux les contrôler peut-être, pour « mieux »les gouverner : nous autres, « éveilleurs », entraînés au dur labeur de la réflexion, ne pouvons décemment rester sans rien dire ni rien faire. Nous ne pouvons que commencer par  dénoncer ce qui, par glissement, mène à une emprise totale du politique sur les consciences.

    Sapere Aude ! Ose penser par toi-même !  (injonction du grand penseur allemand Emmanuel Kant in Qu’est-ce que les Lumières ?) telle est l’injonction des penseurs du XVIII° siècle ; telle pourrait être la devise des « éveilleurs », si tant est que cette exigence ne nous amenât pas à ne vouloir penser que depuis nous mêmes pour funestement nous enfermer sur nos intelligences ou sur notre petit groupe pour, ultimement, nous détacher du réel. C’est pourquoi la référence à Platon nous paraît plus tonique, plus vive parce qu’elle ouvre un chemin, aride certes, celui de la dialectique qui ne se parcourt pas seul mais ensemble et qui n’a pas pour finalité une considération nombriliste, autiste voire nihiliste.

    Initiés à cette tâche de par leurs compétences multiples, les « éveilleurs » souhaitent partager cette démarche à qui voudra pousser le fardeau de la pensée pour sortir des sentiers battus et entrer dans une démarche de réconciliation avec le réel, avec soi-même, avec les autres, voire avec Dieu (Platon parle du « Soleil de l’Intelligible », in République livre VI) . Aconfessionnel, le groupe des « éveilleurs » n’est pas anti-confessionnels. Nous respectons toutes les traditions religieuses et philosophiques, car nous pensons que s’exprime là quelque chose d’essentiel à l’homme qu’aucun matérialisme ne peut combler. Nous ne sommes pas non plus politique au sens de partisan. Nous sommes plutôt profondément républicains, épris de bien commun, subjectivement et objectivement : subjectivement parce que notre sincérité dans cette recherche du bien de tous ne peut pas décemment et sérieusement être mise en cause (sauf lorsque l’on veut gratuitement et sans raison sérieuse insulter) ;  objectivement parce que nous pensons que tout n’est pas possible, encore moins permis. Nous luttons contre une conception prométhéenne des choses par laquelle on pourrait croire rien ne devrait résister à nos désirs : une telle vision mènerait de façon catastrophique à la confusion généralisée. Nos messages d’alerte ont donc pour objectif, non pas de véhiculer de fausses craintes ou des peurs irrationnelles, mais de  réconcilier l’homme avec  le réel et avec lui-même.

    Nous ne cherchons pas enfin à imposer une vision uniforme et dogmatique du réel. Nous avons un parti pris philosophique, certes, qui est de se détacher du subjectivisme outrancé qui mène à un humanisme erroné dans lequel l’homme finit par se perdre. Notre parti pris ontologique est celui d’un lien au réel qu’il nous est toujours  d’abord donné d’éprouver avant que de vouloir prouver ou maîtriser quoi que ce soit. Un tel présupposé philosophique n’a rien de liberticide. Il ne fait que remettre les choses à leur place, de remettre l’homme (à la fois grand et misérable, comme le disait Pascal dans les Pensées) à sa place, cela pour une plus grande authenticité existentielle et pour une plus grande liberté politique.

    De façon plus imagée, mettons-nous à l’écoute de ce maître à penser qu’est Platon. C’est aussi en se mettant à l’écoute des Anciens que l’on peut réapprendre en profondeur qui nous sommes et ce que nous avons à être.

    « Les éveilleurs »

    Platon, La République, livre VII, 514a-516c

    (514 …) Figure-toi des hommes dans une demeure souterraine, en forme de caverne, ayant sur toute sa largeur une entrée ouverte à la lumière; ces hommes sont là depuis leur enfance, les jambes et le cou enchaînés, de sorte qu'ils ne peuvent bouger ni voir ailleurs que (514b) devant eux, la chaîne les empêchant de tourner la tête; la lumière leur vient d'un feu allumé sur une hauteur, au loin derrière eux; entre le feu et les prisonniers passe une route élevée : imagine que le long de cette route est construit un petit mur, pareil aux cloisons que les montreurs de marionnettes dressent devant eux, et au-dessus desquelles ils font voir leurs merveilles.

    Je vois cela, dit-il.

    Figure-toi maintenant le long de ce petit mur des hommes portant des objets de toute sorte, qui dépassent le mur, et des statuettes d'hommes et d'animaux, en (515) pierre, en bois, et en toute espèce de matière ; naturellement, parmi ces porteurs, les uns parlent et les autres se taisent.

    Voilà, s'écria-t-il, un étrange tableau et d'étranges prisonniers.

    Ils nous ressemblent, répondis-je; et d'abord, penses-tu que dans une telle situation ils aient jamais vu autre chose d'eux-mêmes et de leurs voisins que les ombres projetées par le feu sur la paroi de la caverne qui leur fait face?

    Et comment? observa-t-il, s'ils sont forcés de rester la tête immobile durant toute leur vie? (515b…)

    Si donc ils pouvaient s'entretenir ensemble ne penses-tu pas qu'ils prendraient pour des objets réels les ombres qu'ils verraient?

    Il y a nécessité.(…)

    Considère maintenant ce qui leur arrivera naturellement si on les délivre de leurs chaînes et qu'on les guérisse de leur ignorance. Qu'on détache l'un de ces prisonniers, qu'on le force à se dresser immédiatementà tourner le couà marcher, à lever les yeux vers la lumière : en faisant tous ces mouvements il souffrira, et l'éblouissement (515d) l'empêchera de distinguer ces objets dont tout à l'heure il voyait les ombres. (…515e) Et si, repris-je, on l'arrache de sa caverne par force, qu'on lui fasse gravir la montée rude et escarpée, et qu'on ne le lâche pas avant de l'avoir traîné jusqu'à la lumière du soleil, ne souffrira-t-il pas vivement, et ne se plaindra-t-il pas de ces violences ? Et lorsqu'il sera parvenu à la (516) lumière pourra-t-il, les yeux tout éblouis par son éclat, distinguer une seule des choses que maintenant nous appelons vraies?

    Il ne le pourra pas, répondit-il; du moins dès l'abord.

    Il aura, je pense, besoin d'habitude pour voir les objets de la région supérieure. (…516b)  À la fin, j'imagine, ce sera le soleil - non ses vaines images réfléchies dans les eaux ou en quelque autre endroit - mais le soleil lui-même à sa vraie place, qu'il pourra voir et contempler tel qu'il est. (…) Après cela il en viendra à conclure au sujet du soleil, que c'est lui qui fait les saisons et les années, qui gouverne tout dans le monde visible, et qui, d'une certaine manière, (516c) est la cause de tout ce qu'il voyait avec ses compagnons dans la caverne (…) Or donc, se souvenant de sa première demeure, de la sagesse que l'on y professe, et de ceux qui y furent ses compagnons de captivité, ne crois-tu pas qu'il se réjouira du changement et plaindra ces derniers?

    Si, certes.