• L’espérance et la joie

    Un texte écrit par Agabus

    L'auteur dédie ce texte aux Veilleurs

    Il est inspiré du livre de Chantal DELSOL, Les pierres d’angles – A quoi tenons-nous ?, paru aux éditions du Cerf, © 2014

    Aborder le thème de l’espérance peut sembler bien inapproprié dans une période de désillusion, de désenchantement, de désespérance. Il est vrai que les espérances politiques par exemple ont apporté, et apportent encore, bien des déceptions. Alors, par peur d’être de nouveau déçus, beaucoup de nos contemporains préfèrent mettre leur ardeur au service de petites affaires afin de se calmer des grandes[1] : La recherche du bien-être prévaut sur celle du Bien commun. C’est ainsi que l’on assiste au développement du matérialisme avec sa course effrénée au confort et à la sécurité.

    Parallèlement, les questions existentielles et les préoccupations métaphysiques ont été écartées. Les seules questions importantes tiennent dans le lieu de vacances et l’achat du dernier téléphone mobile… qui, par ailleurs, ne restera pas le dernier bien longtemps !

    Pourquoi subir ce que l’on estime être d’inutiles souffrances : ces grandes questions angoissantes et sans réponses ? La tranquillité et la mise à l’écart des questions dernières qui obsèdent, imposent d’ignorer l’espérance, de ne pas vouloir davantage que ce que le monde propose, quitte à se réduire en mettant sous le boisseau toute passion, toute ambition – sinon individuelle ou professionnelle – et en évitant toute idée élevée. Bien sûr, le sentiment de sécurité, de bonne conscience et d’autosatisfaction qui en découle garantit une certaine douceur de vivre mais sans joie, avec cette sensation désagréable de l’ennui que l’on conjure par le divertissement et le goût du changement.

    Ceci étant, l’idée du changement, même si elle occupe une place importante parmi les priorités, n’amène qu’à prendre des risques fort modérés : dans les sociétés démocratiques, on a peur de se risquer ; on veut tout savoir et tout prévoir. Quand on cherche à tout prévoir, il n’y a pas l’espérance, mais le calcul.

    Oser l’espérance… savons-nous encore ce que cela signifie ? Dans ce qui suit, je vais tenter de définir les caractéristiques de l’espérance.

    L’espérance a partie liée avec l’aventure.

    Espérer, c’est refuser de se satisfaire de ce qui est et de croire que tout se limite au fini, au visible, au connu. Espérer, c’est marcher comme Abraham vers une terre promise inconnue, étrangère, porter la « nostalgie du pays qu’on ignore »[2] , se laisser emparer par l’angoisse de la curiosité. Espérer, c’est aimer l’aurore, c’est aimer les commencements.

    L'espérance ressemble aussi à ces départs en montagne par un matin neuf. Voyez ce chemin : je l’emprunte et il vire...

    Mon cœur bat plus vite, mon attente de l’inconnu s’éveille. Alors que j’y marche, quel nouveau paysage s’offrira à mon regard ? Je ne sais mais je me prépare à l’émerveillement.

    Mû par l’espérance, l’inattendu devient désirable, devient une promesse d’aventures qui suscite la soif de vivre. C’est aussi ce que nous éprouvons à la naissance d’un enfant : une espérance mêlée de la joie d’un commencement où tout est possible.

    Mais pour être vécue dans sa plénitude, l’espérance doit être ouverte sur l’infini que seul le Dieu transcendant peut offrir. Avec Lui, tout devient envisageable. Comme l’écrit le philosophe Emmanuel Levinas in De l’évasion, « l'espérance, c'est le refus de rester là assigné à résidence, ce que font les païens, c'est à dire ceux dont les dieux vivent ici-bas, dans le monde immanent. »

    L’espérance est un risque à prendre et qui nous grandit.

    Le principe de précaution est emblématique de notre époque. On ne veut plus prendre de risques. L’incertitude est crainte, la décision est difficile. En effet, toute décision est un saut dans le vide et qui peut prétendre connaître à l’avance tous les risques ?

    La connaissance est préférée à la confiance et à l’espérance.
    On préfère être protégés de tout, quitte à se voir tout interdire. En définitive, on appelle une société maternante, infantilisante sans mesurer un autre risque : celui d’un état totalitaire, d’un despotisme doux prétendant se préoccuper du bonheur de ses sujets.

    L’espérance, à l’inverse, assume l’incertitude. Elle grandit à sa mesure celui qui la porte et l’honore ; elle ne le laisse pas dans le monde clos et chaud de l’enfance ; elle l’incite à entreprendre dans l’avenir inconnu. L’espérance ne laisse pas inactif, ne rend pas attentiste : elle pousse à l’engagement.

    Si l’espérance est à la mesure du Dieu infini, combien grandi sera l’homme qui espère[3] !

    L’espérance a partie liée avec la joie.

    La joie est toujours du côté de l’espérance. Contrairement à la douceur, la joie est un élan, un tressaillement. Toute réalité, même banale peut être transfigurée par la joie. Chantal DELSOL écrit : « Il y a la joie des commencements et celle des accomplissements, celle de la rencontre et celle de la réalisation de soi, et aussi, plus rare, cette source ininterrompue par laquelle l’existence tout entière est considérée comme une grâce. »

    Même un présent pénible peut être vécu et accepté s’il est habité par la joie de l’espérance d’un terme grand, élevé qui justifie les efforts du chemin.

    Espérer, c’est attendre, voir de loin.

    Or nous ne voulons plus attendre. Nous voulons tout, tout de suite, au claquement de doigt. La tension de l’attente nous est devenue insupportable. C’est pourquoi nous avons donné congé à l’espérance.

    Espérer, c’est aussi rêver.

    Rêver, imaginer n’est pas sans valeur : que peut-on faire de grand, sans le rêver ? Et quelle joie discrète et simple n'implique pas une part de rêve ?

    « J’ai fait un rêve »… Qui n’a pas vibré à ces quelques mots du célèbre discours de Martin Luther King ? En eût-il été de même s’il avait dit « J’ai conçu un plan, j’ai une stratégie » ? Si nous désirons inspirer les autres, rêvons, espérons, soyons visionnaires et non gestionnaires.

     

    [1] Je fais ici allusion à ce texte d’Alexis de Tocqueville in De la démocratie en Amérique (Vol. II, chap. III § 21) : « Les violentes passions politiques ont peu de prise sur des hommes qui ont attaché toute leur âme à la poursuite du bien-être. L’ardeur qu’ils mettent aux petites affaires les calme sur les grandes. »

    [2] Charles Baudelaire, L’invitation au voyage

    [3] « L’homme grandit si Dieu infini devient sa mesure. » (Søren Kierkegaard)

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  • Commentaires

    1
    Laurent
    Vendredi 9 Mai 2014 à 16:30

    Merci pour ce bel article ! Les références évoquées sont, de plus, une vraie nourriture intellectuelle. Notre âme et notre esprit n'ont plus qu'à se laisser féconder par cette espérance, vertu fondamentale, afin de devenir viril et vraiment audacieux !

     

    2
    HENAULT JEAN JACQUES
    Dimanche 20 Juillet 2014 à 17:49

    "C'est l'espérance folle

    qui nous console 

    de tomber du nid

    et qui demain prépare

    pour nos guitares

    d'autres harmonies"

    Merci.

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