• Lettre de Suède... d'une société réussie où tout le monde serait heureux !

    Par sr Veronica - Odile Tournier

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    Chaque fois que je viens en France je constate à quel point le modèle suédois fascine.  la Suède apparaît comme une société réussie où tout le monde est heureux ! L’autre jour à la radio j’entendais l’ambassadeur de France dire à quel point sa nomination en Suède était gratifiante.  Il est dans un pays phare, vers lequel convergent tous les regards de l’Europe et il reçoit beaucoup de ministres français venus voir leurs homologues suédois et écouter leurs conseils.

    Je comprends que la Suède attire. La vie ici apparait facile. On ne souffre pas de la crise. Les inégalités sociales sont moins grandes qu’ailleurs. La parité entre hommes et femmes est un modèle pour l’Europe. Au parlement les femmes et les hommes sont également représentés : 50%, 50%. Les congés de parenté (les plus longs d’Europe) sont maintenant pris presque à égalité entre les mères et les pères. Les dirigeants d’entreprise seront bientôt à égalité. Les médias y veillent et donnent régulièrement les pourcentages, surtout pour les grandes entreprises. Quant au ”métier de prêtre”, il tente beaucoup les femmes et si cela continue, sera bientôt uniquement féminin. Un certain nombre de femmes entre 40 et 50 ans, parfois divorcées et qui ont de grands enfants sont très tentées par ce métier ! Ceci, bien sûr, dans l’Eglise luthérienne Suédoise.

    L’école est un milieu de vie où les enseignants sont présents 40 heures par semaine à la disposition de leurs élèves. Il faut dire qu’ils se désolent souvent de l’absentéisme de ces derniers car pour eux la présence semble beaucoup moins obligatoire !

    A la fine pointe de la recherche scientifique s’est développée aux états Unis depuis 1990 une nouvelle discipline : la recherche sur le bonheur. Le bonheur étant défini comme ”être satisfait de sa vie et aller bien.” On essaie grâce aux sondages et aux statistiques de le quantifier, de l’organiser, de le planifier pour l’avenir.

    Un de ces chercheurs suédois sur le bonheur, Erik Fernholm, écrit en conclusion de son enquête dans un grand quotidien :

    Nous allons plus mal aujourd’hui qu’il y a cinquante ans. Les jeunes surtout vont mal. Le mal-être psychologique des jeunes a triplé et le suicide est la plus grande cause de décès chez les personnes de moins de trente ans. Nous avons en Suède un mal-être unique qui ne se rencontre pas chez nos voisins. La société est sur une mauvaise voie.
    La Suède est le pays du monde qui est le plus centré sur la réalisation individuelle. Nous avons aussi une manière unique de ne pas prendre en considération les valeurs traditionnelles et de renvoyer chacun à lui-même pour résoudre les grandes questions de l’existence et déterminer ce qu’il doit faire de sa vie.
    Nous croyons à la faculté qu’a chaque individu de penser de façon rationnelle, si bien que la responsabilité de se réaliser soi-même pèse sur chaque individu, sans possibilité de se référer à qui que ce soit. Cela crée une angoisse insupportable et explique le mal-être psychique.
    Le reste du monde nous suit et nous sommes dans l’obligation de résoudre le problème et de changer de voie.

    Sous les apparences de la réussite, le malaise est profond dans ce pays qui voudrait être un paradis. Le bonheur n’est pas au rendez-vous et la réussite extérieure ne fait que souligner le mal-être intérieur. Sans doute faut-il vivre ici pour le constater.

    Chacun est seul et cela me frappe beaucoup dans les familles. Financièrement les enfants ne sont pas à la charge de leurs parents. Les impôts sont toujours payés individuellement, qu’on soit marié ou non. L’état a déchargé les parents de toute responsabilité éducative. L’école se charge d’éduquer et d’enseigner ce qu’il faut penser. Les parents, souvent très gentils par ailleurs, ne savent plus qu’ils ont une responsabilité éducative vis-à-vis de leurs enfants. Ils respectent à tel point leur liberté qu’ils les voient faire les pires choses sans oser leur parler ou intervenir, et sans même penser qu’ils pourraient ou devraient le faire. Comme me le disaient un couple : Nous souffrons de ce que font nos enfants, mais nous ne pouvons qu’être là, continuer à les aimer et attendre que les choses aillent mieux pour eux.

    Parmi les volontaires qui viennent nous aider et passent quelques semaines ou mois ici nous pouvons constater à quel point il est difficile de se construire dans une société qui se charge de faire votre bonheur ! Les jeunes et moins jeunes qui viennent ici sont de plus en plus des personnes fragiles, gentilles, mais sans force, fatiguées de vivre ! Nous essayons de les aider du mieux que nous pouvons, mais nous nous sentons souvent très démunis devant une souffrance si profonde.

    Il y a un mois j’ai été invitée à ”la journée des religions” organisée par les professeurs de religion dans un lycée de la ville voisine pour les huit classes de terminales, chacune d’une vingtaine d’élèves de 18, 19 ans. Nous étions huit intervenants : bouddhistes, musulmans, témoins de Jéhova, Hare krishna, Monokeros (?), baptistes, humanistes et moi-même. Les représentants de l’Eglise officielle du pays : l’Eglise Suédoise, n’étaient pas là. Peut-être considérés comme suffisamment connus ?

    J’avoue que j’avais quelques appréhensions avant cette rencontre. Que dire de sa foi dans cette grande foire aux religions ? Les questions des élèves envoyées par les professeurs n’étaient pas très inspirantes : ”Pourquoi croyez vous à votre religion ?”, ”Que pensez-vous de l’avortement ?”, ”faites- vous tout ce que prescrit votre religion ou bien passez-vous au dessus de ce qui ne marche pas dans la pratique ?” ”Qu’est-ce qui fait que vous avez besoin de croire ?” ” les avancées de la science sont elles une menace pour votre croyance ?” ”Que pensez-vous du big-bang ? ”, etc. etc.

    Finalement le professeur principal avait sérié les questions sous une rubrique : ” Qu’est-ce qu’un homme bon ? ” Je suis partie de là. Je leur ai lu le récit du jugement dernier dans Matthieu 25. Un homme bon, c’est celui qui voit son prochain et qui lui vient en aide. Au fond nous voudrions tous être des hommes bons, mais quand nous essayons de vivre comme cela nous nous heurtons vite à nos limites. L’autre nous dérange. Nous n’avons pas envie de le voir. Nous pouvons aimer certains, mais tous c’est trop… Nous sommes limités et même handicapés dans notre capacité à aimer. Notre coeur est étroit et blessé. Nous n’avons pas reçu nous-même l’amour dont nous aurions eu besoin et nous ne le donnons pas… Qui pourra guérir notre coeur et nous donner d’aimer ? C’est ce que Jésus Christ est venu faire. C’est cela que nous appelons le salut. Jésus par sa mort et sa résurrection viens nous guérir. Il nous donne son Esprit Saint qui vient guérir notre coeur et nous donner d’aimer…

    Les jeunes ont écouté dans un grand silence et il n’y a pas eu de questions.

    Je leur ai aussi parlé de l’avortement. C’est toujours délicat dans un tel contexte. On sait bien que dans ces groupes il y a toujours des filles sont déjà passées par là. J’ai commencé par leur dire que s’ils avaient posé la question de l’avortement, c’est que ce n’est pas si simple. Il ne s’agit pas d’un banale opération. Je leur ai ensuite raconté que j’avais rencontré un certain nombre de femmes qui avaient avorté et qui toutes portaient cela comme une blessure profonde, un fardeau dont elles ne pouvaient pas se délivrer. C’était peut-être la première fois qu’elles pouvaient en parler puisque dans la société on dit que cela n’est pas grave, qu’il faut se débarrasser de ses préjugés etc. Ces femmes savaient toutes, quand je leur ai demandé si l’enfant était un garçon ou une fille. Et elles lui ont donné un nom. Nous avons pu ensemble remettre cet enfant à Dieu. Elles avaient au ciel en enfant qui les aimaient… J’ai vu que certaines filles étaient très touchées…

    Juste avant Noël, je suis allée à Lund, loin de chez moi, au sud de la Suède, à l’enterrement du père Carme Wilfrid Stinissen. Les carmes sont venus s’installer en Scanie dans les années 60. Ils avaient été précédés par les carmélites. Leurs deux petits couvents sont des centres spirituels importants pour tout le pays. Leur petite revue, Karmel, est lue par beaucoup de non catholiques, Ils ont traduit les mystiques carmélitains : Thérèse d’Avila, Jean de la Croix, Thérèse de l’enfant Jésus, Elisabeth de la Trinité, Laurent de la Résurrection… Le père Wilfrid a été le guide et le père spirituel de beaucoup de chrétiens de toutes confessions. Il était proche de notre communauté et venait chaque année animer une retraite. C’est à lui que nous devons notre nom : ”Communauté de la Sainte Trinité”. Ses nombreux livres sont lus dans toute la Suède. Certains sont traduits en français. Il est mort fin novembre à 86 ans après une brève maladie. Il voulait que la messe d’enterrement soit célébrée dans la chapelle des carmélites qui peut recevoir au maximum 30 personnes. Ses nombreux amis ont protesté et finalement la messe a été célébrée en présence de 400 personnes, catholiques et protestants dans la cathédrale luthérienne de Lund, par l’évêque, lui-même carme, et une vingtaine de prêtres. Ce fut un beau témoignage d’amitié et d’unité au delà des clivages confessionnels.

    La Suède est un pays paradoxal où la belle apparence cache un mal être très profond. La vie y est à la fois facile et dure et les gens vont mal alors que tout parait si merveilleux !

    C’est le pays où j’habite et que j’aime. J’aime ces gens que je rencontre si proches et en même temps si différents et je me sens souvent remplie d’une grande compassion pour tous ces gens qui souffrent.

    Je voudrais leur dire à quel point ils sont aimés de Dieu. Leur dire qu’ils s’épuisent à se porter eux-mêmes à bout de bras alors qu’ils ont un Père dans les cieux qui prend soin d’eux et les appelle par leur nom. Que le Fils de Dieu s’est fait chair, qu’il est mort pour leur salut sur la Croix, qu’il est ressuscité et qu’il nous donne son Esprit Saint.

    Je suis heureuse de vivre dans ma communauté oecuménique. Dans ce monde d’individus, le témoignage de notre vie communautaire est important. Nous sommes un lieu où les gens se sentent accueillis.

    Si l’envie vous prenait de venir me faire une petite visite vous serez les bienvenus chez nous.

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  • Commentaires

    1
    Hovid
    Mardi 28 Janvier 2014 à 19:06

    L'absentéisme scolaire ne soncerne que quelques banclieues enragées de Stockholm du style 93 chez nous ! 

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