• Intervention lors de la venue de Pierre-Yves Gomez à Reims le mardi 8 avril

    Intervention de Philippe dans le cadre du courant pour une écologie humaine

    La problématique :

    La société est l’élément dans lequel toujours déjà nous vivons ; sans elle, il n’y a pas de devenir humain ;
    D’un autre côté, être soi, exister, cela ne relève pas d’abord de la co-existence mais de l’existence.
    Etre humain, est-ce d’abord être en lien, ou bien est-ce s’affranchir de toute forme de lien, advenir à soi dans l’opposition, voire la contradiction avec l’ensemble qu’est la société ?

    I/ Le primat du social :

    Il n’y a pas d’humanité sans la présence, la préséance de ceux qui nous précèdent, nous ont donné la vie et ont permis l’émergence du sens, en donnant une direction.

    La tradition a un caractère essentiel (tradere = « transmettre » en latin) ; sans elle, l’homme, sans « tuteur » s’affaisse, s’effondre. (Cf. l’exemple de Victor de l’Aveyron, enfant sauvage retrouvé au XIX° siècle par le docteur Itard, histoire adaptée au cinéma par François Truffaut en 1970.)

    Aristote explique que l’homme est « par nature un animal politique » (Politiques, I, 2) : il ne faut pas entendre le concept de « nature » au sens physiologique, mais sens où Aristote l’entend, à savoir d’essence finalisée : la société est le « corps », l’organisme dans lequel l’individu trouve place et sens (pour vivre de façon vertueuse, selon la justice.

    Cette vision traditionnelle de la société a volé en éclat à l’époque moderne, laissant place au primat de l’individu, jusqu’à sa possible désocialisation : pourquoi ?

    II/Les conditions d’émergence de l’individualisme :

    Le berceau héllenico-latin : la Grèce est caractérisée par l’apparition de la pensée rationnelle et universelle. Cependant, cette élévation spéculative à l’universel n’a pas d’application pratique et politique (la cité grecque, dans sa dimension particulière, est très éloignée d’un universalisme politique : ce qui est premièrement, c’est la communauté, pas l’individu).

    Dans la pensée latine apparaît avec le stoïcisme l’idée d’un « cosmopolitisme », c’est-à-dire que l’on puisse être « citoyen du monde ». C’est au stoïcisme que l’on doit la notion de « personne » (personna = « masque », rôle qui oppose le rôle social à la dimension plus intime et plus intérieure). Cependant, c’est avec la culture et la pensée chrétiennes que la notion de « personne » va prendre un sens absolu (Dieu incarné ne venant pas seulement sauver un peuple mais quiconque avec qui il cherche à entrer en relation). Ainsi se trouve posée la base d’une valeur infinie de la personne, sans condition, magistralement exposé par Kant, par exemple dans les Fondements de la métaphysique des mœurs, sur la base d’une autorité, non pas religieuse mais rationnelle.

    A l’époque moderne, ce qui est premier, c’est l’individu et sa liberté ; la société est alors la conséquence d’un acte contractuel librement consenti (cf. les pensées, sans les confondre, de Hobbes au XVII° siècle et de Rousseau au XVIII°siècle). Le contexte culturel chrétien fut déterminant dans l’émergence de l’idée de « droit de l’homme » notamment : Frédéric Lenoir (journaliste essayiste, notamment dans le Monde des religions) qui n’est pas chrétien mais est spécialiste des religions, met cela très bien en évidence dans son livre Le Christ philosophe. Pour poser une comparaison, sans aucune perspective polémique, l’Islam ne développe pas cette dimension personnelle et relève davantage de la dimension communautaire des religions traditionnelles. Si l’Eglise chrétienne et catholique a longtemps développé elle aussi cette dimension communautaire et collective, elle n’a pas pu empêcher l’émergence de ce qu’elle portait en germe, à savoir la dimension individuelle qui a notamment éclos au début du XVI° siècle avec la Réforme protestante (et l’approche individuelle, personnelle revendiquée par Luther).

    Cette émergence de l’individu et de sa valeur absolue) fut, à n’en pas douter, un progrès, une avancée ; est-elle – et même si la question peut heurter – toujours un bien ?

    III/L’écueil de l’individualisme : quelle issue ?

    Le primat de l’individu est un héritage de la modernité qui, avec force, a affirmé la liberté de l’individu, sans réserve. Mais cette force n’est pas sans faiblesse et sans risque. Tocqueville, analyste de la société américaine au XIX°siècle fut l’un des premiers à voir les possibles dérives des sociétés démocratiques (in La Démocratie en Amérique, publiée en 1835 et 1840). Son propos consiste à voir que dans les mœurs démocratiques, où personne, « par nature » n’est au dessus de quiconque, la seule autorité qui vaille est celle de la majorité. Celle-ci est considérée comme la valeur absolue. Cela pourrait être un mode de fonctionnement idéal (comme nous le pensons souvent), à l’exception du fait qu’aucun pouvoir humain, fût-il du peuple, ne peut être « absolu ».

    Hannah Arendt, d’une certaine façon dans l’héritage de la pensée de Tocqueville sous certains aspects, mesure le fait que les systèmes totalitaires n’ont pu apparaître que dans un contexte égalisé, cimenté par une idéologie où les masses se sont laisser uniformiser pour violemment uniformiser (et nier) le monde réel. A juste titre, dans le tome I des Origines des totalitarismes (sur l’antisémitisme), Arendt remarque que ce grand héritage de la modernité (l’idée d’égalité individuelle) a porté à la fois le meilleur et le pire ; le pire étant le délitement du lien social, sa dislocation.

    Est-ce grave docteur ? Ne prenons pas peur : à chaque époque ses défis ! Pour finir sur une touche d’optimisme théorique et pratique, inspirons-nous de deux enquêtes de journalistes (l’ « optimisme », étymologiquement, ce n’est pas la naïveté, c’est le fait de savoir « opter », choisir, continuer de vivre plutôt que de rester tétaniser, dans la paralysie) :

    - Le premier est le travail de Laurent de Cherisey, reporter d’espoir qui dans ses livres Passeur d’espoir et Recherche volontaires pour changer le monde, par un tas d’exemples, illustre de façon tout à fait abordable le travail patient de ces persévérants qui, depuis une intuition individuelle, ont ouvert l’espace de leur tente, laissant émerger une action qui a eu une portée nationale, voire internationale. Il y parle d’Ashoka (association d’entrepreneurs sociaux d’envergure internationale, d’Atanase Périfan – fondateur de la fête des voisin –, de Schumann, Adenauer et De Gaulle, fondateurs de l’Europe, aussi bien que de Mandela qui fit tomber l’Apartheid). Ce livre, très accessible est une véritable source d’inspiration où l’on voit que le local et l’international ne sont pas en contradiction, bien au contraire. En fleurissant là où l’on est « planté », on peut irriguer, inonder, alimenter.

    - La deuxième que j’aimerais citer, c’est Frédérique Bedos, auteure de La petite fille à la balançoire, et son site internet : leprojetimagine.com. Elle y met en lumière ses « héros anonymes », « humble heroes », petite personnes du quotidien qui ont surmonté le handicap, les difficultés, dépassé les frontières,…en restant chez eux mais certainement pas en restant sur place : il s’agit par exemple de Rhyad Salem, homme en fauteuil, sans bras et sans jambes et fondateur du Défistival (Festival avec les handicapés), Jean-Guy Henckel, fondateur des Jardins de Cocagne (jardins bio, écolo, où social et économique sont conjugués).

    --> Nous vivons dans un monde de contradictions. Cela n’est pas nouveau ! Ainsi sommes-nous ! Ces contradictions ne sont pas une fatalité ; elles peuvent être une chance. Ne rêvons pas d’un monde uniforme et ne paniquons pas lorsque l’on trouve de la résistance ; n’ayons pas peur d’entrer nous-mêmes en résistance ou en contradiction. Sur la base du respect, nous en sortirons grandis.

    --> Quant à l’opposition individu /société ici mise en lumière ; elle ne doit pas rester binaire. L’articulation dialectique de ces deux pôles constitue les deux jambes sans lesquelles nous ne pouvons pas avancer.

    Partager via Gmail

  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :