• De la barbarie de la science moderne et de certains hommes de science en particulier

    Un article de Cédric l'Auxerrois

    Je lis ce matin, dans Christianisme aujourd'hui, que l'Europe veut attaquer tous les enseignants qui « critiquent le darwinisme ». Me voilà donc devenu suspect... parce que je crois (j'en suis même convaincu !) que la vie poursuit un dessein intelligent ! Pourtant, voilà ce que j'ai envie de répliquer à cette nouvelle forme de « barbarie » que dénonçait déjà Husserl (dans La crise des sciences européennes et la philosophie transcendantale) et qui a été dénoncé, par la suite, par d'aussi grands esprits que Maurice Merleau-Ponty ou Michel Henry.

    Tout d'abord, depuis le XVIème siècle, la science pense à l'intérieur d'un paradigme mécaniste. Cela signifie que le science a évacué les « causes finales » (si chères à la physique d'Aristote) et qu'elle se contente d'expliquer la nature et le vivant par des causes purement matérielles et mécaniques. La science expliquera ainsi « comment » on peut expliquer la vision à partir de l'organisation matérielle des parties de l'oeil. Ce n'est plus, comme chez Aristote, la fonction qui explique l'organe, mais c'est l'organe qui explique la fonction. Cette évacuation des causes finales constitue le geste décisif de la science moderne. Mais attention : cela ne signifie nullement que la finalité n'existe pas ! Simplement, la rationalité scientifique, qui s'intéresse au « comment » et non au « pourquoi » considère que la finalité, du fait qu'elle n'est pas scientifiquement objectivable, ne peut fournir une quelconque explication scientifique (comprenez par là que la finalité est soustraite aux procédures de vérification propres à la science moderne, raison pour laquelle on peut parler, en un sens, d'un athéisme méthodologique de la science moderne : elle ne pourra valider comme « scientifique » qu'une théorie matérialiste, c'est-à-dire une théorie qui explique les fonctions du vivant par les potentialités de la matière).

    A l'époque de « Descartes », où les savants étaient encore « philosophes », il n'y avait aucune difficulté à concilier cet « athéisme méthodologique » avec la croyance en l'existence d'un Dieu créateur. Pourquoi, demandera-t-on ? Tout simplement parce que les savants du XVII è siècle avaient conscience des présupposés méthodologiques de leur discipline, et qu'ils ne confondaient pas la « théorie scientifique » avec la « réalité » que cette théorie prétendait expliquer. A partir du XVIIème, en effet, une théorie scientifique se constitue au prix d'une abstraction vis-à-vis de la réalité : les théories scientifiques « modélisent » le réel, elles objectivent la réalité dans une « représentation », mais elles font abstraction de tout ce qui, dans le « réel », n'est pas « objectivable » (c'est le cas de la finalité). A l'époque de Descartes, les savants (puisqu'ils étaient philosophes) n'était pas dupes des limites de leur explication scientifique du réel : leur théorie n'étant qu'une modélisation du réel, elle ne donnait de celui-ci qu'une explication partielle du réel, ne prétendant nullement livrer la vérité ontologique de celui-ci. Ils n'avaient donc aucune difficulté à concilier leur croyance en Dieu et leur esprit scientifique : Galilée, Descartes, Pascal, Leibniz, Newton, tous étaient croyants, et gardez-vous bien de penser qu'il ne s'agissait de leur part qu'une concession à la "mode" de leur époque (où tout le monde ou presque était croyant) ou d'une peur de l'inquisition (même si Galilée, pourtant croyant, fut inquiété par celle-ci...). Leurs croyances se fondaient sur des convictions rationnelles, d'où leur tentative à tous pour construire une "apologétique" qui vise à concilier leurs convictions scientifiques et leur croyance en Dieu. Les preuves de l'existence de Dieu développées par Descartes dans ses "Méditations métaphysiques" restent d'ailleurs un sommet de le pensée métaphysique....

    Le drame, celui que dénonce Husserl ou Michel Henry, s'est produit lorsque la science a "divorcé" de la philosophie, et que les hommes de science (en grande partie par paresse...) ont cessé d'être philosophes. La plupart d'entre eux sont alors tombés dans un scientisme étroit et borné, ils n'ont plus eu conscience des présupposés méthodologiques de leur approche du réel, et ils ont confondu le « modèle » (la représentation « objectivée » qu'ils se font de la réalité) avec la « réalité » elle-même ! La plupart des physiciens ne sont certes pas tombés dans ce scientisme, car la physique quantique a permis de bien mettre en avant l'idée que toute théorie scientifique n'est finalement qu'une modélisation du réel qui pourra être invalidée, du jour au lendemain, par un changement de paradigme (et la physique quantique a obligé les grands physiciens du début du XXème siècle, Einstein, Bohr ou Heisenberg à renoncer au paradigme mécaniste qui était dominant depuis le début du XVIIème siècle). Mais les biologistes... aïe, aïe, aïe ! La plupart d'entre eux ont tendance à prendre leurs explications scientifiques pour une description qui livrerait la « vérité » du réel lui-même. Ils confondent la valeur scientifique d'une théorie avec sa vérité ontologique, et prennent le modèle pour la réalité elle-même en « oubliant » que le modèle n'est qu'une explication très partielle de la réalité, et qu'elle se constitue au prix d'une formidable abstraction dont les philosophes ne sont bien évidemment pas dupes (au moins pour la plupart d'entre eux, car j'en connais qui le sont par une sorte d'idolâtrie de la science qui aurait bien fait sourire Nietzsche, lui aussi très conscient des limites de la raison scientifique...).

    J'en viens au trait le plus incisif de mon propos : le débat entre « néo-darwiniens » et partisans de « l'intelligent design » est en fait un débat faussé et pipé, tant que l'on ne comprend pas les limites de la rationalité scientifique dans son explication du réel. Pourquoi ?
    1) Par définition, tant que la biologie pensera à l'intérieur d'un « paradigme mécaniste », une explication « scientifique » de l'évolution ne pourra être qu'une explication darwinienne ou néo-darwinienne. Présenter comme scientifique une théorie comme celle de l'intelligent design est donc effectivement une « imposture », car cette théorie n'a rien de scientifique au sens où elle ne pourra jamais être validé selon les procédures de vérification propres à la science moderne qui reste à l'intérieur de ce paradigme mécaniste.
    2) Mais cela ne doit pas nous amener à conclure qu'il n'y aurait pas de "dessein intelligent" de la vie (ce que font la plupart des darwiniens !). Si l'on a compris que l'explication scientifique reste partielle, rien ne nous interdit de penser que le hasard (dont se sert le biologiste pour expliquer l'évolution) ne soit pas dominé par la finalité (bien que cela ne puisse pas être prouvé scientifiquement). Un exemple très simple, celui que prenait déjà Bergson dans "l'Evolution créatrice" pour critiquer le darwinisme, semble être probant à cet égard : ce sont les convergences évolutives que l'on observe sur toutes les branches de l'évolution alors même qu'elles ne sont pas préformées dans la souche commune. Expliquer ces convergences (par exemple l'apparition de l'oeil, à un certain degré d'organisation, sur toutes les branches de l'évolution) par le seul « hasard » (ce que fera le biologiste darwinien), c'est en fait renoncer à donner une explication rationnelle d'un « fait » qui semble bien plutôt supposer que la vie poursuit un dessein intelligent, comme si une « intention » cherchait à se réaliser à travers les multiples ramifications qui sont à la source de la diversité des espèces telle que nous les observons.
    3) D'où la conclusion : les néo-darwiniens ont raison de dire qu'une explication scientifique de l'évolution ne peut être que matérialiste, mais leur tort est de croire que cette explication rend compte exhaustivement des mécanismes à l'oeuvre dans l'évolution, ce qui est fort peu probable, et même probablement faux tant la finalité est difficile à nier pour un regard philosophique. Les partisans de l'intelligent design (qui ne sont pas tous créationnistes, contrairement à ce qu'on veut nous faire croire, car beaucoup croient à une macro-évolution ! C'est là un trait typique de la pensée binaire et journalistique pour qui croire à une "intention de la vie" signifie nécessairement être "créationniste"...) ont sans doute raison de penser que l'évolution poursuit une « intention », que peut être cette intention se réalise en l'homme (qui serait alors le sommet de la création-évolution) mais leur tort est de présenter cette théorie comme "scientifique", alors que c'est une explication purement "métaphysique" qui vient compléter, sans l'invalider à son propre niveau, ce qui restait très « partiel » dans l'explication scientifique de l'évolution de la vie...

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